Mayorquines
A la señorita Alegría Constantí
Pour le monde nouveau tout artiste est un Prêtre,
Dont la grande harmonie a dicté l'avenir;
Il fût prédestiné quand son corps allait naître;
Et son âme sortit de la main du grand maître,
Pour le prouver et le servir!–
Mes yeux ont toujours lu sur un front artistique
Un mot divin.– Ce mot nous dit sa mission.–
Rachel à sur le sien ce qui la fait tragique;
Quand malibran passait chacun lisait: musique!–
Ainsi de george et de falcon.–
Alegría, ton front dit aussi ton génie;
Sur sa neige rayonne un mot lu par mes yeux:
Ce mot, en traits humains, s'écrit Chorégraphie,
Sur le char des Esler par des fleurs il te lie;
Te voilà prétresse des cieux!–
Ce sacre qu'un proscrit dans le silence opère,
Par l'Europe bientôt sera sanctionné:
Les prophètes toujours chantent dans la misère;
La voix de l'infortune est sainte pour la terre;
Heureux ce qu'elle a couronné!–
Dans ton corsage bleu de velours ou de soie;
Dans ta jupe de gaze aux opulents contours;
Sous le maillot aimé que ta mentille noie;
Dans ton petit soulier que ton pied blanc foudroie;
Danse: –Tu grandiras toujours!–
Danse!– Répands sur nous ton gracieux sourire,
Dont ton dentier d'émail augmente la Beauté:–
Le rire est fils du ciel; il naît pour qu'on l'admire,
De ta lèvre d'enfant, quand ton Etre se mire
Dans tout un parterre enchanté!–
Lorsque sous tes longs doigts et sous ton ongle rose,
La castagnette noire harmonise tes pas,
Comme un frais papillon qui jamais ne se pose,
Volé, oh señorita! – Que ton génie impose
La danse des cieux ici bas!–
Mais dis nous bien surtout si tu n'es pas, ma belle,
Une de ces willis qui planent dans l’azur,
Et si le feu qui brille en ta noire prunelle
Est de ton avenir la magique ètincelle,
Ou n'est qu'un rayon dans l'air pur?–
C'est qu'en en te regardant, on voit qu'il est facile
De confondre un esprit avec un corps humain,
Si véritablement, pétri du même argile,
Notre être est bien pareil à ton être fragile,
Et peut le sentir sous la main.–
Oh! tu n'es pas, reponds, une essence visible,
Qu'une heure peut voir naître et voir évanouir;
Ton cœur bat trop souvent sous le satin flexible;
On se mire en ta chair, mais ta chair est sensible;
Ange, tu ne vas pas nous fuir?–
Non.– Tu peux chaque soir, œuvre de la nature,
Tournoyer, rayonner, inspirer à la fois,
Orner d'un bouquet blanc ta noire chevelure;–
Ton peigne un peu penché, castillane parure,
Bien coquet et bien leger poids.–
Non.– Tu peux cadencer sur le tambour de basque
Ce vol, dont nos regards suivent tous les élans;
Tu peux nous imposer ton caprice fantasque,
Pour mieux nous témoigner que tu n'es pas un masque,
Un souffle de quelques instans.–
Non.– Tu peux dévoiler encor ta fine oreille,
Ton col dont le sang rose éclaire la blancheur,
Ton épaule d'albatre; et ta lêvre vermeille
Peut reprendre demain la forme sans pareille
Qui sait si bien gagner un cœur!–
Non.– Demain, par l'Europe, ó joyeuse espagnole!
Tes pieds moissonneront des lauriers et des vers;
Pour toi, chaque poète aura sa barcarolle;
Tu sauras conquèrir, avec ta danse molle,
Les bravos de notre univers!–
Mais souviens toi, léger papillon que je chante,
Comment l'insecte ailé peut perdre ses couleurs,
Comment il peut mourir sous les yeux qu'il enchante,
S'il s'unit à ces yeux par la chaîne constante,
Cessant d'aller de fleurs en fleurs.–
Puisque du Dieu suprême un artiste est l'apôtre,
Il doit, comme l'apôtre être libre toujours;
Fiancé du génie, il deviendrait tout autre,
Si de l'autel divin il descendait au nôtre,
Pour y déflorer ses amours.–
Je ne te défends pas, artiste, d'être femme:
Mais je te dis ceci, comme un frère à sa sœur:
Pour Garder à ton front l'auréole de flamme,
Fais monter tes élus au niveau de ton âme,
Reste ange en enchaînant leur cœur.–
Ne sois jamais épouse ou cesse d'être artiste,
Cesse de croire aux fleurs, au destin énchanté!–
Peut être ce conseil, mon bel diseau, t'attriste;
Mais à te le donner mon amitié persiste:
L'art meurt avec la Liberté!–
Helas! Tout n'est pas doux, ange, en notre couronné;
Nous avons notre part des douleurs d'ici bas;
Nous devons ses parfums au Dieu qui nous la donne;
Et nous ne pouvons, nous, la donner à personne,
Sans flétrir ses brillants appas.–
Qu'importe, alegría, cette couronné est belle;
On est reine du monde en l'ayant à son front;
On ne peut plus mourir; on devient immortelle;
Et lavant des humains la tache originelle;
On les laisse pour ce qu'ils sont!–
Marche done en avant!– Marche, enfant; et j'espère,
Lorsque de mon exil, moi, je serai sorti,
Te revoir sur le char des gloires de la terre,
Entendre un peuple entier s'écrier pour te plaire:
Vive alegría constantí!–
28 novembre 1851.–
Hugelmann Gabriel
refugié politique.
La prochaine Mayorquine sera dèdiée aux membres du Casino Balèar.